Le sanskrit, quand les mots ouvrent des mondes
- Elsa Anahata Nimes
- 11 juin
- 16 min de lecture

Comprendre la richesse des mots sanskrits
Il y a quelques semaines, je participais à un enseignement bouddhiste avec un maître tibétain. Les échanges avec les participants étaient alors traduits du tibétain au français et inversement par un interprète. Cela a mis en lumière la puissance du langage dans notre perception du monde, montrant comment il influence notre manière de voir la vie, tout en étant lui-même façonné par notre regard. Nos mots peuvent ainsi révéler, encadrer ou parfois limiter notre expérience du réel.
Certains mots français, et même au-delà, les interrogations et la manière de voir la vie, de la penser et de l’expérimenter étaient intraduisibles ; c’est-à-dire qu’ils n’avaient pas d’équivalent en tibétain classique, et que leur sens ne pouvait être rendu fidèlement.
Par exemple, une personne posait une question traitant de l’injustice que l’on peut ressentir face à une situation, et le traducteur expliquait qu’il n’existe pas d'équivalent exact pour « injustice » en tibétain. Et cela vient principalement d’une absence de concept similaire dans leur vision du monde. Le bouddhisme aborde une réalité où l’injustice peut être perçue à travers le prisme du karma plutôt qu’une notion morale absolue.
C’est une vision du monde non duelle où il n’y a pas de juste ou d'injuste, de bon ou de mauvais. C'est un mode de pensée fluide, dynamique, circulaire où les expériences ne sont pas jugées mais acceuillies comme des opportunités d'évolution. Elles se succèdent, s’entrelacent et s'intègrent dans un mouvement d'ouverture et d'apprentissage intérieur.
Les textes bouddhistes tibétains ont été rédigés en tibétain classique, à partir de sources orales et écrites en sanskrit indien, notamment en sanskrit bouddhique. Il est donc naturel que de nombreuses idées et concepts rejoignent ceux du yoga, de l’ayurveda et des védas, qui partagent un même socle culturel et philosophique.
Cela m’a reconnecté avec l’ouverture d’esprit et la réflexion qu’à éveillé en moi la découverte du sanskrit à travers le yoga et de l’ayurveda. J’y ai distingué des mots aux multiples sens qui ne s’opposent pas, mais qui s’unissent dans le vivant, dans l’expérience. J’ai découvert des mots au sens large, qui représentent tout un concept et un art de vivre au-delà d’une simple traduction.
Je rencontrais des termes sanskrits comme dharma, agni ou sattva qui n’avaient pas d’équivalents dans ma langue maternelle, mais qui éveillaient en moi une compréhension directe, qui élargissaient mon champ de conscience et de perception.
Peu à peu, j’ai compris que le langage ne se contente pas de décrire notre réalité, il la façonne. Il influence nos pensées, nos émotions, nos perceptions. Et parfois, il les limite.
Rencontrer une autre langue, surtout une langue aussi ancienne, sacrée et vibratoire que le sanskrit, c’est comme ouvrir une fenêtre sur une autre façon d’être au monde. C’est ce voyage intérieur que je souhaite partager avec vous aujourd'hui.
Celles et ceux qui me connaissent savent à quel point j’aime apprendre de nouvelles choses et approfondir mes connaissances, je suis une élève à vie ! L’ayurveda et le yoga nous offre une telle richesse pour notre évolution et notre épanouissement qu'une seule vie ne suffira pas pour tout aborder.
En explorant la langue sanskrite, nos repères s’élargissent, nos mots s’affinent, notre pensée devient plus souple et plus nuancée. Notre champ d’expérience se déploie, se diversifie et gagne en profondeur.
Et le langage évolue avec nous, tout comme notre regard sur le monde.

Qu’est ce que le sanskrit ?
Le sanskrit est considéré comme la langue sacrée de l’Inde antique, utilisée pendant des milliers d’années pour la communication, la littérature et la spiritualité. Cette langue classique est considérée comme l’une des plus anciennes et des plus riches langues du monde. Il ne s’agit pas seulement d’un langage ancien, c’est une langue sacrée, façonnée pour porter le sens et la vibration d’une vérité universelle.
Apparue il y a plus de 3 000 ans, datation des textes écrits (sanskrit védique puis classique). La langue existait oralement avant d’être figée dans les textes, car les principes de l’ayurveda (vieux de plus de 5000 ans) existaient déjà avant même d’être codifiés en sanskrit védique.
C'est la langue des Vedas, des Upanishads, du Yoga, de l’Ayurveda, du Mahābhārata, de la Bhagavad Gītā. C’est la matrice culturelle et spirituelle de l’Inde ancienne. Mais le sanskrit n’est pas une langue morte, il continue de vivre dans les mantras, les chants védiques, les cérémonies, et dans le cœur de ceux qui l’étudient.
Quelques écoles et universités en Inde et dans le monde enseignent encore cette langue subtile, qui échappe à toute traduction totale. Ce qui rend le sanskrit si particulier, c’est qu’il ne fonctionne pas simplement comme un code pour communiquer, mais comme un véhicule de conscience.
Chaque mot est porteur d’une racine appelée dhātu, d’une énergie vibratoire, et d’un concept vivant. Par exemple, le mot Agni ne se traduit pas seulement par « feu ». Il évoque à la fois le feu digestif, le feu sacré du rituel, la lumière de l’intelligence et le pouvoir de transformation. Il est à la fois élément, divinité, principe cosmique et expérience intérieure. Le sanskrit ne décrit pas le monde de façon linéaire ou dualiste. Il propose une vision circulaire, symbolique et vibratoire, dans laquelle les mots sont des portes vers l’expérience directe.
Ainsi, apprendre un mot sanskrit n’est pas simplement enrichir son vocabulaire, c’est ouvrir une nouvelle chambre dans la maison de la conscience. C’est ce qui rend son approche si puissante dans le yoga et l’Ayurveda. Ces disciplines ne se contentent pas de nous dire "fais ceci" ou "mange cela", elles nous guident à travers des mots qui réveillent en nous des vérités universelles et personnelles.
Penser autrement, vivre autrement
Comme je vous le disais au tout début, en sanskrit, certains mots ou concepts que nous utilisons couramment en français n’ont pas d’équivalent direct. Ce n’est pas seulement une question de vocabulaire, c'est une différence fondamentale de regard sur la réalité.
Pour vous donner un exemple révélateur de la différence entre les visions du monde véhiculées par les langues; en sanskrit, le verbe "avoir" n’existe pas tel quel. Et cette absence est significative.
Le verbe “avoir” n’existe pas au sens direct où on l’utilise en français. Par exemple, pour dire « j’ai un livre », on ne dira pas une phrase qui signifie littéralement je possède un livre, mais plutôt quelque chose comme :
"Me pustakam asti", littéralement "moi, un livre est".
Me = moi, Pustakam = livre, Asti = il y a / il est
Ce petit détail linguistique change tout, et traduit une logique de relation plutôt que de possession. Cela révèle une vision non-dualiste, moins centrée sur la propriété, plus orientée vers la connexion ou la présence. C’est une forme de pensée très différente de celle véhiculée par les langues occidentales modernes.
Le sanskrit ne pose pas la relation à l’objet sur le mode de la possession, mais sur le mode de la relation et de l’existence partagée. On pourrait dire que cela reflète l'idée que rien ne nous appartient vraiment, mais tout transite, existe temporairement avec nous. Un langage qui relie plus qu’il ne possède.
La subtilité des mots sanskrits
Je vous propose quelques exemples de mots à la profondeur immense qui révèlent une vision holistique du monde.
Svastha : la santé comme retour à soi
En sanskrit, le mot utilisé pour dire "santé" est svastha
C’est un mot qui ne désigne pas simplement l’absence de maladie, mais un état d’être enraciné dans le soi. Il est composé de deux racines : sva (le soi, ce qui est propre à soi-même) et stha (demeurer, être établi). Ainsi, svastha signifie littéralement : "être établi en soi".
Ce mot, à lui seul, révèle toute la profondeur de la pensée ayurvédique.
Être en santé, ce n’est pas simplement avoir des organes qui fonctionnent correctement. C’est être aligné avec sa nature profonde, ancré dans son centre, en paix avec soi-même et avec le monde. La santé est alors un état d’équilibre intérieur, de cohérence entre le corps, l’esprit, les émotions et l’environnement. Ce que ce mot nous apprend, c’est que la véritable guérison n’est pas à chercher à l’extérieur. Elle commence par un retour à l’écoute de soi, à notre rythme naturel, à notre constitution (prakriti), à notre dharma (notre chemin de vie).
En Ayurveda, chaque individu a une combinaison unique des 5 éléments, des 3 doshas. Retrouver svastha, c’est revenir à cet équilibre intime, souvent oublié sous les couches de stress, de conditionnements, d’habitudes décentrées. Et c’est là que le langage devient médecine.
La définition du mot santé dans notre dictionnaire est : "Bon état physiologique d’un être vivant, fonctionnement régulier et harmonieux de l’organisme."
Ici, on est bien loin de la dimension subtile de Svastha.
Lors de sa création en 1946, l’OMS nous offrait tout de même une définition plus large :
"La santé est un état de complet de bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité"
C’est une définition plus globale et humaniste, qui prend en compte différents aspects de la personne mais qui reste toute de même figée dans un idéal difficile à maintenir : un bien-être complet à tous les niveaux.
Svastha désigne plutôt un équilibre dynamique entre les forces du corps, de l’esprit, des sens et de l’âme. Il reconnait le mouvement perpétuel de la vie et appelle à un ajustement constant, fluide, entre l’interne et l’externe. Svastha, c’est se reconnecter à sa nature profonde (prakriti), s’écouter et savoir équilibrer ses doshas, son feu digestif, prendre soin de ses organes des sens, de son mental et s’aligner avec son âme.
Il ne s’agit pas d’être bien en permanence, mais d’être en capacité de revenir à l’équilibre, à soi, malgré les variations naturelles de l’existence.
La santé selon l'ayurveda (svastha) est un état d’équilibre dynamique

"Samadosha samagnischa samadhatu malakriyah
Prasanna atma indriya manah svastha iti abhidhiyate"
(Sushruta Samhita, Sutrasthana 15.41)
"Est en bonne santé celui dont les doshas sont équilibrés, le feu digestif est en bon état,
les tissus corporels et les éliminations fonctionnent correctement, et dont l’âme,
les sens et le mental sont dans un état de paix."
Dire "santé", en français, évoque un état objectif, souvent défini par des normes extérieures. Dire svastha, c’est entrer dans une réalité intérieure, vivante, subjective, holistique. Il prend en compte l'être dans toutes ses dimensions : physique, mentale, physiologique, énergétique, spirituelle et karmique. Ce simple mot devient alors un mantra, une direction : "Reviens à toi, là est la santé".
Puisqu’on parle de mouvement et d’équilibre, je vous propose d’explorer toute la dimension du mot Dosha.
Dosha, bien plus que ce que l'on croit :
Dosha a une signification bien plus vaste qu’il n’y paraît, au-delà de la simple notion figée des trois énergies fondamentales, Vata, pitta, kapha, que l’on connaît en Ayurveda.
Le mot Dosha (दोष) vient de la racine sanskrite "duṣ" ou "duṣṇā", qui signifie : abîmer, troubler, altérer, déséquilibrer, souiller. Autrement dit, un dosha est ce qui peut déranger, détériorer ou déséquilibrer un état naturel harmonieux.
Ici, on comprend que les doshas ne sont pas "bons" ou "mauvais", mais qu’ils sont des principes instables qui peuvent provoquer un déséquilibre s’ils s’aggravent ou débordent de leurs fonctions normales.
Les trois doshas (Vata, Pitta et Kapha) sont souvent décrits comme des "énergies biologiques". Mais en réalité, ils sont à la fois :
- des forces intelligentes de transformation, circulation, digestion, structure...
- des modes de fonctionnement du vivant (corps humain, plantes, aliments, cycles de la journée, saisons, ages, émotions...)
- des facteurs potentiellement perturbateurs, quand ils sont en excès ou en manque.
Ils sont les gérants du corps et c’est leur nature instable qui les rend vivants.
La santé (svastha) est un état d’équilibre dynamique. Les doshas sont comme le vent, les flammes, l’eau ; Ils bougent, s'adaptent, interagissent avec le monde et entre eux. Mais s’ils sont mal gérés, ils sortent de leur rôle et deviennent causes de désordre. Ainsi, ce qui soutient la vie peut aussi, mal canalisé, la perturber.
Les doshas sont dynamiques, par nature Vata est le mouvement pur, l’air, l’éther, le souffle, les nerfs. Pitta est la transformation, la chaleur, la digestion, la lumière. Kapha est la cohésion, mais même cette stabilité est soumise à des variations, comme les cycles de l’eau. Rien dans les doshas n’est figé. Ce sont des processus vivants, cycliques, influencés par l’heure, la saison, l’âge, l’émotion, le climat, etc.
Une de mes enseignantes traduit le mot dosha par "ce qui bouge", "ce qui est changeant".
Je trouve que cette compréhension des doshas comme « ce qui bouge » aide à mieux vivre avec eux. Plutôt que de figer les doshas dans une identité (" je suis Vata ", "elle est Kapha"), cette approche invite à observer ce qui est en mouvement en nous, à accueillir les fluctuations avec lucidité, à agir pour rétablir l’harmonie, non pas en figeant, mais en réajustant.
Ce mot nous invite à comprendre la vie comme un équilibre subtil entre mouvement et stabilité, entre feu et douceur, entre expansion et ancrage. Il ne s’agit pas de "contrôler" les doshas mais de les observer, les comprendre, et les accompagner avec bienveillance pour revenir à notre centre (svastha)
Un malentendu très répandu chez les personnes qui découvrent l’Ayurveda, surtout en Occident, est la confusion Dosha = Prakṛiti
Pour beaucoup, le mot dosha est rapidement associé à :
"Je suis Vata", "Elle est Kapha", "Mon dosha c’est Pitta". Autrement dit, on pense que le dosha est une identité figée, notre nature fondamentale.
En réalité, c’est plus subtil que ça.
La prakriti est la constitution de naissance, notre empreinte originelle, notre équilibre naturel (par exemple : constitution Vata-Pitta)
La prakriti est une combinaison stable des doshas. C’est-à-dire qu’à la naissance (et même dès la conception), on reçoit une empreinte énergétique unique. Notre équilibre doshique personnel reflète l'héritage des doshas les plus présents chez chacun de nos parents. Mais il est aussi influencé par les doshas générés par la mère au moment de la grossesse (alimentation, activités, émotions), du dosha dominant de la saison, et aussi selon les traditions védiques, de notre karma et de la mission d’âme.
Cette constitution est stable tout au long de notre vie. On peut dire que c’est notre nature profonde, notre terrain. Par exemple : une personne Vata-Pitta aura de la créativité, de la vivacité, un corps fin, un esprit rapide mais sujet à l’anxiété ou à l’impatience. une personne Kapha aura une belle endurance, un mental calme, de la tendresse, mais pourra être sujette à la léthargie ou à l’attachement.
Les doshas composent la prakriti : ils sont comme les couleurs de notre palette de base.
Mais nous ne sommes pas un dosha. Nous sommes un équilibre vivant, en mouvement, à réajuster sans cesse en conscience.
Le dosha est ce qui fluctue, ce qui peut se déséquilibrer. C’est pourquoi on différencie la prakriti (notre nature) de la Vikṛiti : notre état du moment, influencé par notre mode de vie, notre alimentation, etc. C’est dans cet état actuel de vikriti que les doshas sont dynamiques.
Une personne peut être de prakriti Kapha, mais avoir un déséquilibre Pitta aujourd’hui. Ou être Vata-Pitta de naissance, mais Kapha en excès à cause de l’hiver et d’une alimentation trop lourde.
Le dosha est un mouvement, pas une étiquette
Car réduire l’Ayurveda à "je suis ce dosha" revient à figer une science du mouvement. Le vrai travail ayurvédique consiste à observer ce qui bouge, ressentir ce qui déséquilibre, et réajuster pour revenir à un équilibre plus fluide, plus conscient. Même au sein de notre prakriti, notre nature, nos doshas dominants de naissance ne sont pas immobiles. Ils portent en eux des qualités en mouvement, qui évoluent, s'expriment de façon différente, s'intensifient ou se régulent au fil du temps, des saisons, des expériences. C'est cette danse entre ce que nous sommes profondément et ce qui nous traversent qui qui façonne notre équilibre au quotidien.
Les doshsa dans la prakriti structurent notre terrain.
Connaitre sa prakriti permet de déterminer son mode de vie idéal.
Dans la vikriti, Vata, Pitta, Kapha se manifestent comme déséquilibres.
Connaitre sa viktiti permet de réajuster son hygiène de vie actuelle
Donc oui, les doshas définissent la prakriti, mais le mot dosha signifie littéralement ce qui peut troubler ou déséquilibrer, il ne désigne pas notre identité, mais une tendance à être influencé par certains types de mouvements dans le corps et l’esprit.
Je me suis un peu étendue sur ce mot mais cela nous montre la profondeur du sanskrit où un simple mot n’a pas une traduction simple mais devient toute un concept, un art de vivre et un mode de pensée. Et nous pourrions en parler sans fin !
Santosha : la plénitude du contentement
Santosha est un mot d’une grande richesse, qui mérite aussi qu’on s’y attarde, tant il transforme notre rapport au bonheur, au manque, et à la paix intérieure.
En sanskrit, santosha est souvent traduit simplement par "contentement". Mais derrière cette apparente simplicité se cache un concept d’une profondeur existentielle. Santosha est composé de sam, qui signifie "totalement, complètement", et de tosha, qui vient de la racine tush, signifiant "être satisfait, apaisé, comblé". Ainsi, santosha évoque un contentement profond, total, inconditionnel.
Ce mot ne parle pas d’un plaisir passager ni d’une joie dépendante des circonstances. Il désigne un état intérieur de paix et de satisfaction, qui naît non pas de ce que l’on possède ou obtient, mais de la capacité à accueillir la réalité telle qu’elle est. C’est un des niyama (observances personnelles) du yoga selon les Yoga Sūtras de Patañjali, et il est considéré comme une clé de la liberté intérieure.
Pratiquer santosha, c’est cultiver la gratitude, l’acceptation, le renoncement à la comparaison, et la confiance dans le rythme de la vie. C’est reconnaître que le moment présent contient déjà ce qu’il faut pour être en paix, sans que rien ne soit à corriger ou à compléter.
Dans les langues occidentales, nous n’avons pas de mot exact pour désigner cela.
Le "contentement" plus en lien avec l’assouvissement, la satisfaction peut sembler plus réducteur. Santosha, est une pratique consciente, un acte de foi joyeux envers la vie. C’est savoir que l’on est complet, même si tout n’est pas parfait. Dans une société qui pousse au toujours plus, au manque organisé, santosha est un mot médecine. Il nous invite à goûter la suffisance, à honorer ce qui est là, et à nous libérer de l’illusion que le bonheur se trouve ailleurs.

En sanskrit, on retrouve également de nombreux mots polysémiques.
Les mots aux multiples sens
Le mot Rasa est un exemple parfait de ces mots polysémiques qui révèlent à quel point la langue sanskrite est poétique et profonde.
Les différents sens de rasa sont néanmoins tous liés par une même idée, l’essence fluide de la vie, ce qui circule, nourrit, touche et donne goût.
- Rasa = Saveur (gustative)
Dans le contexte alimentaire ayurvédique, rasa est la saveur d’un aliment ou d’une plante : sucré (madhura), acide (amla), salé (lavana), piquant (katu), amer (tikta), astringent (kashaya).
Ici, rasa est l’impact immédiat d’une substance sur les sens, en particulier sur la langue. Mais cette saveur a aussi un effet énergétique et thérapeutique : elle nourrit le corps et l’esprit.
- Rasa = Plasma / fluide vital (1er dhātu)
En Ayurveda, rasa est aussi le nom du premier tissu du corps (dhātu), formé après la digestion. Il s’agit du plasma nourricier, essence fluide de l’alimentation qui irrigue tout le corps. Il transporte les nutriments, les émotions, les hormones. C’est le lien entre la nourriture et l’immunité, entre le corps et le cœur.
- Rasa = Émotion, sentiment, goût de l’expérience
Dans l’esthétique indienne (nāṭyaśāstra), rasa est le "goût émotionnel" ou le parfum subtil d’une œuvre d’art, d’un poème, d’une musique, d’un moment de vie. On parle des 9 rasas principaux dans le théâtre classique : amour, peur, colère, émerveillement, etc. C’est ce que le spectateur ressent intérieurement, le nectar émotionnel.
- Rasa = Jus, sève, élixir, essence divine
Rasa peut aussi signifier : nectar spirituel (amrita), sève des plantes médicinales, subtilité d’un enseignement, extase mystique ressentie dans certaines pratiques (comme le rasa lila de Krishna avec les gopīs).
Ce que cela nous enseigne est que le mot rasa tisse ensemble, le goût de ce que nous mangeons, le flux vital qui nous maintient en vie, les émotions qui colorent notre monde intérieur, l’élixir spirituel qui unit le corps, le cœur et l’âme. Il nous dit que toute expérience est fluide, que tout est circulation, essence, vibration. Il relie le sensoriel, le physiologique, le psychologique et le spirituel, sans les séparer.
Il existe un grand nombre de termes sanskrits utilisés en Ayurveda au sens bien plus riche que leur traduction habituelle.
Agni définit comme le feu digestif
Oui, mais pas que. Traduit souvent par "feu digestif", Agni est en réalité : le feu de la transformation sous toutes ses formes : digestion, métabolisme, assimilation, clarté mentale. Rien que dans notre corps/esprit, il existent une multiplicité des Agnis, au moins 14 (1 jataragni, 5 bhutagni, 7 dhatvagni, 1 manas agni). Il est une intelligence vivante, capable de discerner, d’éliminer, de transformer ce qui est bon pour nous, qu’il s’agisse de nourriture, d’émotions ou d’expériences.
Agni est aussi lié à la lumière intérieure, à la conscience qui éclaire et transforme.
Agni est aussi le feu sacré rituel (externe) utilisé lors de puja (prières), celui qui porte les offrandes vers les divinités. Il est aussi Agni Deva, le dieu du feu, médiateur entre les hommes et les dieux.
Ama traduit par les toxines
Pas uniquement. Le mot Ama signifie littéralement "non cuit", non digéré. Il s'agit de ce qui n’a pas été intégré, physiquement ou émotionnellement, d’une stagnation, d’un résidu qui alourdit, embrouille, intoxique.
C'est une substance toxique, lourde, visqueuse et collante issue d'une mauvaise digestion, qui est à l'origine de nombreuses maladies.
Ama peut aussi être un fardeau mental, des pensées ruminées, des émotions non digérées. Il touche autant le corps que le cœur ou la conscience.
Ama signifie également dans d'autres contextes, immature, inachevé, ou encore délicat/tendre dans un cadre poétique, c'est aussi un préfixe privatif (ama-rasa = sans goût, fade)
Ojas utilisé pour l’immunité
Et tellement plus que cela ! Souvent résumé à l’immunité ou à l’essence vitale, Ojas est en fait le nectar subtil de la vitalité. Il est le produit d’une bonne digestion physique et émotionnelle complète. Il est l'essence subtile, résultat de la nutrition complète et harmonieuse des 7 dathus (les 7 tissus du corps), à condition que Agni fonctionne bien à chaque niveau. Il est le reflet ultime de notre santé, de notre alignement, de notre amour intérieur, de notre capacité à faire face avec douceur.
Il soutient l'immunité, la clarté mentale et la stabilité émotionnelle. Il est subtil, lumineux, nourrissant et protège la vie.
Ojas, c’est la rayonnance intérieure, force tranquille, stabilité, compassion, confiance.
Dans les Védas, il signifie brillance, éclat, force, vigueur et puissance.
Par extension, il devient l'énergie héroïque.
Chikitsā, le soin ?
Chikitsā est le mot pour "traitement", "thérapie" en Ayurveda. C'est l'acte de soigner, le traitement thérapeutique appliqué pour rétablir l'équilibre dans le corps et l'esprit. Cela inclut les plantes, l'alimentation, les routines ayurvédiques, les traitements (shodhana et shamana). Mais aussi les aspects mentaux, émotionnels et spirituels de la guérison. Sa finesse se trouve dans l’écoute, le discernement, la bienveillance, l’action juste, ajustée, évolutive.
Ce n’est pas juste « appliquer un remède », mais accompagner un processus de retour à l’équilibre. Une chikitsā peut être un aliment, un mantra, un silence, un changement de rythme...
Ce mot peut signifier médecine, soin, prise en charge, remède, recherche, investigation attentive. Et dans une contexte plus spirituel : le cheminement vers la connaissance de soi à travers la guérison.
En français aussi les mots peuvent avoir plusieurs sens différents selon le contexte et l’évolution de leur usage. La nuance est que le sanskrit est une langue construite autour de racines communes, où chaque mot développe plusieurs significations liées entre elles, formant un réseau cohérent. Cette polysémie reflète une vision holistique, symbolique et vivante du monde. Chaque mot est une porte vers une expérience, pas seulement un outil de définition.
Un mot n’est pas simplement un "code" mais une résonance d’un principe vivant ou d’un archétype. Comme nous l’avons vu pour le mot rasa qui exprime la saveur mais aussi le goût de la vie, l’émotion, ou encore le nectar vital, car toutes ces expériences sont perçues comme une saveur intérieure.
En fin de compte, si le langage structure notre perception du monde, l’Ayurveda nous invite à aller au-delà des mots. À travers l’écoute du corps, des cycles naturels et de notre souffle, cette sagesse nous apprend à ressentir plutôt qu’à mentaliser. C’est dans cet esprit que l’apprentissage de certains mots clés en sanskrit prend tout son sens; non pas pour les traduire mot à mot, mais pour les intégrer en soi, comme des graines de conscience. Car le sanskrit ne décrit pas seulement la réalité, il l’évoque, la fait vibrer. L’Ayurveda nous guide ainsi vers une connaissance vivante, où l’expérience précède le concept, et où parfois, le silence en dit plus long que le discours.
Si le sujet vous intéresse et que vous souhaitez en découvrir plus sur le sanskrit, faites le moi savoir je vous préparerai un autre article sur le sujet !
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